Economie : la Martinique au pied du mur !

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Christian LOUIS-JOSEPH nous livre son analyse lucide sur la situation économique de la Martinique, à travers cette tribune libre :

L’interprétation que donne l’IEDOM de la conjoncture, dans son bilan pour 2017 de l’économie martiniquaise, devrait, pour le moins, nous laisser perplexes. Les fondamentaux, nous dit-on, soutiennent le développement de l’activité. On nous apprend, pourtant, que l’indicateur du climat des affaires est en recul par rapport à 2016 (une année qui accuse une baisse du PIB) et que le chômage augmente ; que l’investissement des entreprises est orienté vers le renouvellement des équipements et non vers l’accroissement des capacités de production ; que les exportations (hors produits pétroliers) diminuent. L’évolution, jugée favorable, de la consommation bénéficie, apparemment, aux seules importations car on peut déduire des difficultés de toutes les branches d’activité, à la seule exception du tourisme, que la consommation de produits locaux est en berne.

Un état de dépression chronique

La réalité est que la stabilité invoquée par l’Institut pour définir l’état de notre économie est, précisément, le problème. Depuis le retournement conjoncturel de 2008, la Martinique vit, en effet, sous un régime économique caractérisé par une croissance quasi nulle et un chômage élevé.

La relance de la production suppose une augmentation de la demande adressée aux entreprises. Celle-ci ne peut venir de cette moitié de la population, proche ou en dessous du seuil de pauvreté, qui n’a pas les moyens d’augmenter sa consommation. Elle ne peut davantage venir de la fraction aisée de la population (20% des ménages disposent de plus de 50% du revenu total) dont les besoins en produits locaux sont saturés. Et la faiblesse de la compétitivité ne permet pas l’ouverture de débouchés extérieurs.

Conséquence : les entreprises du secteur privé ne créent plus ou créent très peu d’emplois. Elles ont adapté leur offre au niveau de la demande solvable et se contentent de renouveler leurs capacités de production. Les bonnes statistiques de création d’entreprises, régulièrement mises en avant, ne doivent pas faire illusion. Entre 2008 et 2016, le nombre d’établissements du secteur privé, hors agriculture, répertoriés par la Sécurité sociale a augmenté de 11%, mais leurs effectifs salariés au 31 décembre ne progressent que de 2%, y compris les emplois aidés. Les enquêtes emploi en continu de l’Insee qui s’attachent aux moyennes annuelles, accusent plutôt une baisse de l’emploi salarié entre 2015 et 2017.

Une crise en gestation

Deux facteurs de crise sont en gestation depuis une dizaine d’années :

Le premier est le déclin démographique. La Martinique qui comptait 400.000 habitants en 2007, n’en a plus que 380.000 en 2018 et en affichera, si les tendances actuelles se maintiennent, 330.000 en 2030. A cette date, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans aura plus que doublé et représentera près du tiers de la population. Le plus grave est, sans doute, que l’indice de fécondité (le nombre d’enfants par femme) est, aujourd’hui, inférieur au seuil qui permet le renouvellement des générations. Il faut comprendre qu’une menace d’extinction à long terme pèse sur le peuple martiniquais.

Le second facteur de crise est la déconfiture financière des collectivités locales. L’importance de leur rôle dans notre économie peut se mesurer au poids de leur dépenses qui sont équivalentes au quart du PIB, contre moins de 12% à l’échelle nationale.

Elles doivent, aujourd’hui, assumer l’héritage de plusieurs décennies de pratiques et de choix de gestion contestables, notamment en matière de politique du personnel ou d’investissement. Elles sont prises dans l’étau de dépenses difficilement compressibles et de recettes insuffisantes. La capacité d’autofinancement (CAF) est l’indicateur qui résume le mieux les marges de manœuvre dont dispose une collectivité. En 2016, la CAF nette des remboursements du capital emprunté est négative pour la plupart des collectivités locale de Martinique. Elle l’est, en particulier, pour la CTM ainsi que pour les quatre communes du Centre (42% de la population) et la CACEM. Autrement dit, ces collectivités ont du mal à rembourser leurs dettes et dépendent, pour leurs investissements, de la bonne volonté des banques (de plus en plus réticentes) et des subventions de la France ou de l’Europe.

La crise n’en est qu’à ses débuts

On conçoit aisément qu’une population qui diminue et qui vieillit consomme moins et que cela peut être préjudiciable non seulement aux entreprises, mais aussi aux collectivités locales, à travers la baisse de leurs ressources fiscales (en particulier l’octroi de mer et la taxe sur les carburants).

Le déclin démographique appelle une diminution inexorable de l’emploi public. La Martinique détient, et de loin, le taux d’administration le plus élevé des régions de France : près de 100 de fonctionnaires pour 1.000 habitants, en 2015, contre 72 en moyenne dans l’hexagone et 80 pour les autres DOM. Le sureffectif est de plus de 50% pour nos collectivités locales, compte non tenu des emplois aidés. La baisse de la population a pour conséquence mécanique l’augmentation de ce taux d’administration, d’autant plus difficile à justifier qu’elles (les collectivités) sont condamnées à réduire leurs charges de fonctionnement. Il faut s’attendre à des départs à la retraite non remplacés et à la disparition de plusieurs milliers d’emplois dans ce secteur au cours des 10 prochaines années.

La crise du BTP conjugue les difficultés des collectivités et le problème démographique. Depuis le début de la décennie, les dépenses directes d’investissement de celles-ci ont diminué de 30%. On en appréciera l’impact en se rappelant que la commande publique alimente à hauteur de 60%, au moins, l’activité de ce secteur et que la commande des collectivités locales représente les quatre cinquièmes de l’investissement public.

D’un autre côté, la diminution de la population a conduit les opérateurs publics et privés à revoir à la baisse leurs programmes de construction de logements, en même temps que le marché de la construction individuelle approche de la saturation, en raison des prix élevés des terrains et du m2 construit. En 10 ans, le nombre de permis de construire a été divisé par près de 2.

La relance du BTP exige des moyens qui ne sont pas disponibles dans le contexte actuel.

La crise de l’économie martiniquaise n’en est qu’à ses débuts. Elle a franchi un palier avec le recul du PIB en 2016 et la reprise du chômage en 2017, malgré l’émigration. Les effets du déclin démographique et de la crise des collectivités se confortent cumulativement et nous ont engagés dans une spirale dangereuse qui peut nous conduire à l’effondrement.

Trois urgences

Nous sommes, collectivement, confrontés à trois urgences.

La première est de prendre conscience de la gravité du problème et d’engager sur la question un débat citoyen. Nous en sommes, apparemment, loin.

La seconde est de comprendre que seule une création massive d’emplois est susceptible d’enrayer l’hémorragie migratoire, de relever l’indice de fécondité, de réduire les inégalités, de relancer la demande aux entreprises et, par là-même, la production et la croissance.

Il reste, et c’est la troisième urgence, à en définir les moyens. Le Schéma de développement de la Collectivité territoriale n’apporte pas une réponse appropriée. Travailler à la construction d’un appareil productif performant est une nécessité, mais dont les résultats n’interviendront qu’à moyen, voire à long terme et qui n’apporte, en outre, aucune garantie quant au volume d’emplois créés. Au demeurant, s’en remettre aux investisseurs privés quand il y va de la survie de la population est, à tout le moins, une imprudence.

Nous devons donc remettre en cause les recettes standard de la politique économique et nous efforcer d’apprendre à penser autrement. Nous sommes au pied du mur.

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