Chers compatriotes silencieux,
Après ces nuits de chaos, je veux redire ma solidarité à tous ceux qui ont subi les pillages et les déprédations, à ceux qui, du jour au lendemain, se sont réveillés chômeurs, à tous les jobeurs qui ont perdu des journées de salaire, à ceux qui se retrouvent au chômage partiel, à ceux qui avaient réussi, non sans mal, à créer leur entreprise et qui la voient disparaitre dans un incendie volontaire.
Je formule le souhait que les discussions autour du problème complexe de la cherté de la vie en Martinique trouvent rapidement une issue favorable. En espérant que yo pa kaï brilé kaï la pou an rat ; Ayiti pa loin.
Ce ne sont pas des « dégâts collatéraux »
Il est clair que ces pillages, ces échauffourées, et ces incendies gratuits présentés comme « explicables » et « compréhensibles », voire « prévisibles » (!) risquent de décrédibiliser la revendication de lutte contre la vie chère en en faisant un prétexte. Ce que l’on comprend, c’est que ces pillages, incendies et échauffourées ne sont pas un effet indésirable de la manifestation, ils font partie de la manifestation. Ils lui donnent de la puissance et font pression sur le pouvoir. Les politiques le savent bien. Nous connaissons les motivations (évidentes) des pilleurs. Les gens qui souffrent de la vie chère n’ont rien à voir avec eux. Nous connaissons les motivations des violences urbaines : elles sont un moyen d’exprimer des revendications lorsque plus rien d’autre ne semble fonctionner, mais il faut garder en mémoire qu’elles sont également un lieu d’expression de la violence pour la violence car il existe une ivresse de la violence. Nous connaissons les motivations des incendiaires : leur recherche de sensations fortes comme le montre leur exaltation dans les vidéos.
Deux boucs-émissaires tout trouvés
Et puis le mécanisme psychologique de projection de la responsabilité sur l’autre est tellement utile : il y a maintenant deux boucs-émissaires, les CRS et les békés. Et ils sont racisés ! Aubaine ! Ils sont blancs. Les casseurs ne sont pas responsables, ce sont les CRS qui sont à l’origine des émeutes.
On sait que les critères qui motivent le choix du bouc-émissaire sont, selon les travaux de René Girard, « l’antipathie » (que peuvent susciter les forces de l’ordre) et la « jalousie à l’égard du pouvoir social » (que possèdent les békés). Désormais certains demandent le départ des békés et des CRS. Le problème avec le bouc-émissaire c’est qu’on se trompe de cible.
Un climat de violence depuis plusieurs années
Ceux qui ont une voix forte, ceux qui ont le micro installent dans l’opinion publique, parfois sans s’en rendre compte, des idées reçues sans discussion, comme évidentes, qui s’imposent à (presque) tous comme des doctrines. C’est ainsi que s’est installée une ambiance tendue. Dans l’opinion publique martiniquaise on se livre une compétition à celui qui sera le plus identitaire, le plus ethnique. Pourquoi, diable, une compétition ? On peut exprimer son identité sans agressivité, on peut exprimer à la France ses griefs avec fermeté, sans hargne, sans la mettre au défi. Ces bras de fer qui sont devenus la règle contribuent à alourdir l’ambiance. Et ce climat violent pousse à quitter la Martinique.
Ne me quitte pas
Chers compatriotes silencieux, nous aimons la Martinique et j’espère que ces déprédations, ces pillages, cette autodestruction, cet aveuglement sur les emplois créés par les commerçants (courageux), sur les salaires versés régulièrement par ceux qu’on stigmatise, sur leur participation à l’embellissement de la Martinique et à l’animation culturelle (ce qui est très rare dans la Caraïbe), cet aveuglement (bosi pa ka wè bos-li) sur les incessantes grèves des transports qui appauvrissent les plus pauvres, qui empêchent les élèves d’aller à l’école, sur les opérations de blocage de la circulation qui appauvrissent les jobeurs nombreux en Martinique, sur ces émeutes qui privent la Martinique d’investisseurs, bref j’espère que tout cela ne vous incite pas à quitter la Martinique. Au contraire, restez ! La Martinique a besoin d’être soignée et davantage aimée.
Pr Aimé CHARLES-NICOLAS, Président de First Caraïbes